Un champ de bataille

Un champ de bataille

Illustration : Edwige Faini

La Garde d’Aman

J’ai vu deux guerriers s’affronter sur un champ de bataille couvert de milliers de cadavres. Les deux derniers survivants du massacre.

Ils étaient d’origines bien différentes. L’un semblait combattre au nom de ses croyances. Son armure paraissait ancienne et ses armes désuètes. Il portait un heaume marqué d’une croix verte en forme de tau. Sa tunique en partie déchirée était couverte d’illustrations très détaillées, des représentations d’une nature vierge, exotique, lointaine.

L’autre portait tous les atours d’une suprématie technologique. BACR, écusson monographique, casque d’oblitération totale, antenne d’attache réelle, doigts invasifs et j’en passe.

Ils se faisaient face. La supériorité du combattant moderne ne fait aucun doute et pourtant je ne pouvais m’empêcher de croire en l’issue improbable qui verrait le guerrier moyenâgeux l’emporter en une attaque valeureuse et désespérée.

Est-ce sa foi qui a guidé son bras, qui lui a permis de porter le coup fatal ? Impossible coup de grâce dans un moment de grâce.

Comment a-t-il pu percer le bouclier à charge répulsive si ce n’est par une intervention divine ?

L’un d’eux est mon père adoptif. Il a longtemps combattu. Avant mais aussi après cet épisode.

On l’appelle La Garde d’Aman. Il fut invité à rejoindre les attachés de l’Abram. Ce qu’il fit. Il fut prié de siéger au conseil de défense du Traceur. Cela aussi, il le fit. Et plus d’une fois encore, au service du grand vaisseau, il plongea sa lame sacrée dans le flanc de nos ennemis. Jamais jusqu’à présent il n’a failli.

La Garde d’Aman, rappelez-vous de lui. Il fut et restera votre protecteur.

Guerre et pacification

Non, la société de l’Abram n’est pas toujours pacifiste. Si quelqu’un a réussi à en vous en convaincre, permettez-vous maintenant de douter. L’histoire est plus compliquée.

Parfois nous montrons les dents. Et alors nous pouvons mordre, férocement.

Nous sommes l’expression d’une réussite. Nous ne nous permettons pas d’être faillibles. L’impossible pour nous est la régression, la perte de l’acquis. Nous ne pouvons que progresser, évoluer, nous hisser, accéder au stade suivant, nous transformer en un meilleur de nous-mêmes.

Et parfois d’autres sociétés s’y opposent. Par peur, par aveuglement, par désir de conquête ou tout simplement pour répondre à une tradition belliciste.

Nous détestons tellement la guerre que nous optons toujours pour la réaction instantanée. Que ce soit par une frappe chirurgicale, une attaque en profondeur, une offensive stratégique massive. L’objectif est toujours d’éliminer la menace le plus rapidement possible.

L’usage des armes est pour nous une trahison. Comprenez-moi, c’est bien de répondre à une attaque dont nous parlons ici. L’Empire des Traceurs n’a jamais employé la force contre une civilisation qui ne nous a pas attaqués physiquement. Nous sommes avant tout des observateurs des galaxies que nous occupons, des créatures sensibles au normal. Nous aspirons à l’équilibre. En cela oui, nous désirons un espace en harmonie sur le piédestal d’univers pacifiés.

Conquérants certes… Mais nous avons la violence en horreur.

Un champ de bataille
Illustration : Fausto De Martini

C’est pour cette raison que lorsqu’elle devient inévitable, car il arrive toujours qu’elle le devienne, nous l’employons… Énergiquement.

Je vous l’ai dit, notre objectif premier est de mettre fin au conflit armé le plus vite possible. Mais sans jamais détruire l’ennemi. Nous visons au-delà de l’action militaire. Nous dévoilons notre force, nous montrons notre râtelier, la portée de nos armes, l’absolue puissance de nos munitions, l’infinie ressource de nos réserves soldatesques, la finesse et la profondeur de nos tactiques et de nos stratégies guerrières. Nous frappons suffisamment fort pour mettre l’adversaire à genou. Puis nous lui tendons la main pour le relever et parlementer. Et s’il se saisit de cette main pour contre attaquer nous lui faisons de nouveau mordre la poussière. Jusqu’à ce qu’il capitule et accepte notre existence et le fait de devoir vivre avec cette réalité.

Plus tard, il sera admis en nous.

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