Seconde lettre d’Irien Démester

Auteur : Irien Demester

Ove Tacine !

Voici la suite de mes pérégrinations zikiennes. J’espère que tu as archivé la première partie envoyée il y a déjà bien longtemps. Pour ma part, je n’en ai plus la moindre trame…

Je t’enverrais une autre fois la suite de ces souvenirs. Ils finiront par rejoindre notre trame actuelle, car mes rencontres avec les Traceurs ne sont qu’au nombre de deux, ce qui est déjà exceptionnel.

Puisse la troisième rencontre se faire en ta compagnie !

Irien Demester

Première rencontre

Khéor : voilà un nom qui résonne encore douloureusement à mes oreilles.

Après avoir quitté la cour de son Omni Altesse Shtelany, je pris un Léhouine en direction des mondes frontières de la ceinture Adhiran. Las des jeux politiques, je ne souhaitais qu’un peu d’isolement pour composer ce que je pensais être un chef-d’œuvre, l’ouvrage d’une vie, la quintessence de mon art. Comme tu vas le voir, il en fut tout autrement…

Adhiran est un système perdu, où seuls les pionniers de la Guilde et les fous de l’Eglise de la Conscience Universelle se sont installés dans l’espoir qu’un jour, cette parcelle d’univers trouve sa place au sein du vaste empire. Et oui, mon cher Tacine, leur raisonnement reste logique même si son échelle temporelle dépasse l’entendement d’un citoyen impérial. Un jour, peut-être, ces mondes frontières ne s’appelleront plus ainsi car d’autres voies auront fait reculer ces limites, intégrant de fait Adhiran aux routes commerciales de fréquentation moyenne.

En attendant cet hypothétique instant, la joyeuse clique vivant sur les trois planètes de classe C d’Adhiran s’affairait, tant pour l’implantation de pan-infrastructures dignes de ce nom que pour échapper, si cela reste possible, aux sbires de l’Admintek. Planète-Franche, Libre-Concession, Zone Utopique de Débordement, autant de termes pour signifier un contrôle relatif de l’Empire sur le kha-cosmos d’Adhiran.

Fraîchement débarqué sur Kassiop, la plus viable des trois planètes d’Adhiran, je dus immédiatement jouer des coudes pour me faire, à mon tour, une petite place au paléo-sol. Après trois révolutions passées à chasser le Golp dans les marais putrides de Kassiop, j’avais acquis suffisamment de GP (Golp Points) pour être admis dans la cité suspendue de Kassiopène, unique ville et donc capitale de cette planète peu hospitalière.

Kassiopène (illustration MidJourney)

Mes talents de Compos CelestZik furent acceptés avec froideur au début, mais finalement, mes co-planétaires furent heureux d’avoir un Bruyant pour égayer les incontournables soirées où le Pagolp coulait à flots, sorte d’alcool NT1 issu de la fermentation déplorable des sécrétions salivaires du golp. Tout sur Kassiop revient inévitablement au golp !

Je ne te raconterai pas les 29 révolutions qui ont suivi, sache simplement que mon œuvre majeure n’avait pas avancé d’une zhénote, car je me contentais de laisser le temps s’écouler, me noyant dans le Pagolp le soir et en supportant les post-effets pendant la journée.

Un jour, celui-là même qui a tout déclenché, une étrange effervescence s’est emparé de Kassiopène. Les braillards enivrés que nous étions sont redevenus, pour un court fragment temporel, des citoyens impériaux appartenant à un vaste ensemble cosmique. Le Khéor croisait le kha-cosmos d’Adhiran ! Sans réellement comprendre qui était ce Khéor, je suivais le mouvement et me retrouvais à bord d’un appareil de transit au sein d’une foule pour le moins excitée, bavassant sans relâche qu’un Traceur était présent et que c’était un spectacle à ne pas manquer car il n’existait rien de tel, à part peut-être les hallucinations provoquées par le mélange Xys-Pagolp.

À ces mots, une étrange fièvre me chatouilla les méta-coronaires avancées. J’avais déjà entendu parler de ces Traceurs, vaisseaux conçus pour l’ultime exploration, mais une seule personne en fut passionnée au point d’y consacrer sa vie : un certain Tacine. Contagieuse est ta passion, ami ! Sans vraiment comprendre pourquoi, sûrement les vapeurs du Pagolp qui devaient composer 95% de notre air en cet instant, je sentais que la CelestZik venait des Traceurs, que mon maître les avait rencontrés et que, tôt ou tard, il faudrait payer le tribut au créateur.

Un bourdonnement fit taire l’assemblée. Sur l’écran teknos apparaissaient les premières lignes diffuses du Khéor. Pourquoi avait-il choisi de passer en espace normal dans ce secteur, nous l’ignorions. Peu importait, le spectacle était saisissant. Au fur et à mesure de notre progression la vibration sonore se fit plus musicale et déjà, mon oreille exercée pouvait percevoir l’extrême mélodie partiellement camouflée. Ma sensation initiale était exacte, la Celestzik venait des Traceurs ! Je pouvais en reconnaître les accords honiks, les clés arpégiales et les trilles enlacés. Mais c’était encore plus magnifique que ce que j’avais pu entendre, mes pauvres compositions n’étant qu’un pâle calque de la réalité du Khéor et de ses frères Traceurs. Les larmes aux yeux, je connus une extase telle que je n’ai pu voir la moindre image du Khéor : je ne savais pas à quoi il ressemblait, mais j’identifiais sa signature, son identité zik… avant de sombrer dans un coma que l’on qualifia de mystique par la suite.

La Conscience Universelle s’occupa de ma dépouille pendant les 34 révolutions de mon absence neurale. Je me réveillais un beau matin, c’est-à-dire fouetté par les pluies diluviennes de Kassiop, persuadé d’être encore à bord. Une fois ma réalité temporelle synchronisée, il ne me restait plus que le souvenir de cette rencontre et de quoi composer pendant le restant de ma courte vie. Je compris que mon maître tenait son inspiration et son talent d’un Traceur, et à cet instant je sus que j’avais enfin atteint son inégalable maîtrise de la CelestZik.

Je quittais Kassiopène avec la ferme intention de répandre la CelestZik aux multi-coins de l’Empire et, si la chance me souriait, de retrouver la source de mon inspiration, de dialoguer encore une fois avec un Traceur…

Ô Tacine, cette période dans le kha-cosmos d’Adhiran m’a ouvert les yeux et le cœur ! Je comprenais désormais l’origine de ta passion, et m’émerveillais devant l’inspiration sans limites que procure la rencontre avec un Traceur. Puisse ta quête aboutir !

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