Le Gouffre de Pactire

Le Gouffre de Pactire
Un palais familial sur Pactire (illustration MidJoureny)

L’esclavagisme fait partie intégrante de la société Pactirelienne. Pourtant, c’est une civilisation unifiée. Un même peuple, une même race avec peu de différences morphologiques. Une particularité en fait tout de même des Bio remarquables. Il existe quatre genres différents. Mâle, femelle, neutre et hermaphrodite. Les mâles et les femelles règnent à égalité sur une société organisée en grandes familles. Les neutres sont les sages, les garants de l’ordre constitutionnel. Quant aux hermaphrodites, ils sont les esclaves, les serviteurs et les reproducteurs. Attachés à une famille ils ne peuvent être cédés, vendus, échangés. Ils obéissent aveuglément aux autres castes, réalisant toutes les tâches pénibles, produisant, nourrissant, entretenant et enfantant lorsque leurs maîtres le leur demandent. Ils peuvent sélectionner le genre de l’enfant à venir et la loi Pactirelienne définit précisément qu’elle doit être la répartition des sexes au sein de leur démographie.

Les hermaphrodites étant totalement soumis ils sont convenablement traités au regard de leur condition d’individus asservis.

Le gouffre de Pactire - schéma

Il semble que les Pactireliens aient une société d’une stabilité à toute épreuve. Pas de guerre, pas de famine, pas de pauvreté, très peu de crimes et de délits. Et plus d’évolutions technologiques et sociétales depuis bien longtemps. Ils traversent les laps immuables, avec la sérénité et la confiance de ceux qui n’attendent rien du lendemain si ce n’est poursuivre leur existence de la même façon, indéfiniment.

Pratiquant le voyage intersystèmes ils semblent avoir éprouvé le besoin de nous contacter. Nous nous sommes présentés à eux. Mais depuis, certains s’interrogent. De cette rencontre ils n’ont rien fait. Alors, le voulait-il vraiment ? Ceci dit, ils nous ont toujours accueillis avec respect, un respect piqué de dédain et de condescendance.

Mais notre vision de leur société a bien changé depuis que Beka Cha d’alias Monde En Moi fit une découverte surprenante. Beka est une investigatrice de la bulle du Bâti de la sphère d’enquête de la Pensée secondaire d’analyse évolutionniste. Cette organisation lutte activement contre toute forme d’oppression esclavagiste et mène des actions de lobbying intenses auprès des institutions impériales pour intervenir lorsque des situations d’asservissements sont découvertes au sein des civilisations nouvellement contactées. Le rôle de Beka et d’enquêter et de collecter les informations nécessaires à la constitution de dossiers afin d’étayer les recours que son organisation constitue et soumet à l’Embléa.

Sous couverture Beka se rendit sur Pactire où elle passa un petit laps à mener son investigation en toute discrétion et dans le respect des textes du Bréviaire. Elle fut prête à rentrer avec les fruits de son étude, prête à défendre la cause des hermaphrodites qui pourtant n’avaient rien demandé, lorsque l’un d’eux la contacta. Ce dernier lui enjoignit d’interrompre au plus vite ses indiscrétions et de partir sans attendre pour ne pas mettre en péril le fragile équilibre de leur monde qu’il souhaitait tout aussi immuable que ses maîtres.

L’insistance avec laquelle son interlocuteur lui demanda de ne pas intervenir fit douter Beka qui pressentit autre chose que la simple soumission que l’on rencontre habituellement dans ces structures d’asservissement.

Sous prétexte de succomber à un coup de cœur pour l’architecture Pactirelienne et au risque de voir sa couverture définitivement grillée elle demanda à pouvoir poursuivre son séjour et par là même mener plus loin son enquête.

Ce qu’elle découvrit fit chanceler ses convictions.

Dissimulés sous les palais de chaque grande famille se déploient de vastes complexes abritant des installations informatiques d’une technologie très avancée, en tout cas pour ce monde NT4. Ils servent à maintenir un univers virtuel où se réfugient tous les hermaphrodites. Chaque individu de cette caste né parallèlement dans le réel et dans son équivalent simulé. Il voit son Complexe C transféré dans son avatar nourrisson. Ils nomment cet univers virtuel l’Evo.

Evo simule une planète entière et ses deux satellites.

Lorsque Beka découvrit ce monde, les hermaphrodites (ils se nomment eux-mêmes les Herma) travaillaient à la conception d’une seconde planète colonisable. Ils venaient d’envoyer leurs premiers explorateurs sur l’une des deux lunes. Leur technologie spatiale semble promise à un bel avenir.

Les communautés d’Evo sont unies, leur relation pacifique et les règles de la simulation imposent la plus grande égalité entre les individus. C’est une société prônant le respect des uns envers les autres, la compétition y est bannie, la différence encouragée, le droit à l’erreur, à la non-performance et à la faiblesse est inscrite dans leur constitution. Les Herma du Normal, dénués de Complexe C, sont pilotés par les serveurs d’Evo. Leur intellect limité n’est donc pas lié à une dégénérescence atavique comme le prétendent les autres castes mais tout simplement pour des raisons d’économie de traitements décidés par les Herma eux-mêmes. Ces derniers maintiennent la société Pactirélienne dans l’ignorance la plus totale. Dans l’ombre ils tirent les ficelles de toutes les institutions en influençant sans cesse mâles et femelles des grandes familles. Pacifiquement. D’une certaine manière. Pacifiquement tout en étant, à son tour, une de forme certaine d’esclavagisme.

Ce qui ne fut au début qu’un havre de paix virtuel bricolé de bric et de broc évolua peu à peu vers un espace qui n’a que peu à envier à notre seconde voix. Construit à l’inverse de l’enfer carcéral de leur monde réel, l’Evo a protégé les Herma pendant de nombreux pépicycles. Ils s’y sont développés et épanouis et ils ont pu établir une des civilisations les plus nobles et égalitaire qui soit. Mais pour cela, il leur fallait à leur tour assujettir les autres castes de leur société d’origine. D’esclaves, ils sont passés à esclavagistes, de dominés à dominants. Ils sont maintenant les maîtres et organisent au quotidien la scène d’une mascarade à l’échelle planétaire.

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