Le Pimbot et la révoltée

Le Pimbot et la révoltée

Illustration : Philippe Gaulier

Le Pimbot, l’endroit de la rencontre

C’est un petit vaisseau de passagers affrété par la compagnie Dunstpor, spécialisée dans le transport intersystèmes.

Le Pimbot est un liner civil. Il utilise une propulsion mixte AG et Varlet. Il mesure 35 mètres de long pour une largeur maximale de 12 mètres. Il a été construit au chantier naval Abram Ascourie et son commandant actuel est le Bio Marcovel d’alias Horizon d’Allié. Il est secondé par l’Intelligence Akba Ah d’alias Ronde Infinie. Le Pimbot a fêté ses vingt laps la réelle dernière.

Ce vaisseau a comme particularité d’être une réédition des célèbres navettes vénitiennes de la dynastie Nestéfaire, adoptées jadis par la famille impériale du règne d’Akaba. Leur structure en bois, verre et acier, leur ligne fine et élégante, leur puissant générateur Doman, l’intelligence de leur architecture et la fiabilité de leur système de vie en ont fait des navires de légende.

L’armateur Dunstpor a réussi le tour de force de réaliser de magnifiques répliques qui n‘ont rien à envier à leur modèle. Passionné par ces belles machines l’archi père Dunstpor offre chaque laps une centaine de billets pour qui veut embarquer et passer quelques jours à bord du Pimbot et des cinq autres navires de la même édition.

Le sixième vaisseau de cette mini-flotte ayant subi une importante avarie lors d’un retour en espace normal mal négocié a été retiré du service pour être exposé sur la place de l’Archipel du secteur Youhé.

Un restaurant Alpalien y ouvre ses portes lors des principales fêtes de l’Abram. On y trouve également un bureau de l’Imaginaire où l’on recrute des Opcas Neuvha, des agents en charge du renseignement sur l’Abram. C’est ici que j’ai rencontré Ismaï Luc d’alias Le Cris de la Zone Jaune.

Ismaï, une révoltée

Le Cris de la Zone Jaune

Moins d’une vingtaine de laps. Pensée Dérivée de l’Obscure Sphère Idolée, fille de la Culture.

Persuadée que le non-interventionnisme impérial n’est qu’un immobilisme coupable, elle milite inlassablement contre ce principe de base du codex impérial. Elle en dénonce avec véhémence l’hypocrisie, sous-lignant toute l’ambiguïté de cette politique issue de la loi du Tracé. Elle n’a de cesse de prouver notre faculté d’assujettissement des sociétés que l’on découvre au gré de nos explorations par le pouvoir de séduction de notre organisation império-coloniale. Elle prône un interventionnisme franc mais qui laisserait finalement plus de choix aux différentes civilisations approchées.

Elle est déjà l’une des oratrices le plus en vue de l’Assemblée Permanente.

Pour illustrer son approche, sa théorie, Ismaï a exploité un biais, un angle mort du Codex. Elle a créé une colonie. La Potencia, un réseau de cités innervées basé sur l’expérimentation des sociétés chargées / équilibrées.

Sur la planète Güma du système tri planétaire du secteur lointain 2 annexé par le méridien Belle Plume, Ismaï a dans un premier temps installé un groupe de force. Elle a acquis une Tarentule démantelée pour pouvoir développer une ferme d’accueil sur ce monde inhospitalier typé hors restriction parce que minéral et sans possibilité de développement Bio.

Pour ces mondes, les limitations d’accaparement sont quasi inexistantes. Généralement exploités pour leur richesse en matières premières, le Codex ne légifère que très peu et les lois de colonisation ne s’en soucient guère. Tout au plus le trafic spatial est-il contrôlé afin de rester invisible aux yeux d’autres civilisations voisines tout en s’assurant que la règle de démonstration puisse jouer. Et c’est principalement cette règle qu’Ismaï dénonce.

L’idée de la règle de démonstration est de, derrière une apparente discrétion, prouver la puissance império-solunienne et ainsi de décourager toute velléité d’agressivité ou d’expansionnisme invasif. Mais c’est aussi, au-delà de cette tentative de poser un rapport de force, une invitation à peine voilée de rejoindre l’Empire. Pas tout de suite bien sûr, pas directement. Rien d’ostensible. Juste une certaine transparence, une réelle hospitalité.

« Je vous fais visiter ? »

Et d’exposer les Pensées, la longue vie Farmer, la suffisance matérielle pour tous, partout, la très grande liberté, l’extraordinaire collaboration avec les Intelligences, le pouvoir de sauter d’étoile en étoile, de galaxie en galaxie, les Traceurs, les colonies, une vie aventureuse si on le souhaite, une humanité portée à un aussi haut degré de sagesse… Évidemment rien d’imposé, mais si vous voulez en profiter n’hésitez pas, entrez, doucement, progressivement, prenez votre temps. Surtout ne trahissez pas votre culture, soyez vous-même, gardez vos traditions, vos lois, vos dieux, vos médias, vos héros, vos merveilles et prenez ce dont vous avez (peut-être) besoin, utilisez-les en harmonie avec votre civilisation. Voyez comme nous avons des points communs, nous pourrions très bien cohabiter, nous rapprocher… Vivre ensemble ma foi. Mais rappelez-moi comment appelez-vous votre société ? Qu’importe, votre monde est si beau. Et notre amitié si sincère. Quel bienfait que vous nous ayez rencontré.

Et donc que fait Ismaï sur Güma. Elle tente de prouver qu’une autre approche est possible. Elle milite pour que chaque nouvelle civilisation ait la chance d’évoluer en toute indépendance sans avoir à subir l’insidieuse influence (selon ses termes) de l’Empire Solunnien. La sphère Idolée dit en substance que toute société que nous approchons se trouve irrémédiablement privée de son autonomie, de sa liberté à créer un empire qui pourrait à terme rivaliser avec le nôtre, privant ainsi le grand univers de l’originalité d’évolutions radicalement autres.

Ismaï a convaincu quelque Intelligences, Servants et Protectrices de tenter l’aventure. L’objectif est de réaliser la plus grande simulation jamais imaginée d’un univers « semblant ». Cette virtualisation du réel intégrera même un Traceur. Ce projet pharaonique qui demandera des investissements colossaux devrait s’étaler sur plus d’une vécue et nécessitera une ingénierie mobilisant les ressources d’une planète entière. Il s’agit donc bien ici de créer un univers persistant accessible en 2nde voix de dimensions aujourd’hui encore inimaginables. Vous vous interrogez certainement sur la légalité d’une telle entreprise. Les mondes calculés sont l’une des créations de notre empire les plus encadrées, les plus contrôlés.

Le but d’Ismaï

Prouver qu’une méthode de cohabitation non influente avec les civilisations nouvellement découverte est possible. Pour cela elle compte créer le plus grand monde calculé jamais réalisé. Un monde calculé simulant toute un pan d’une galaxie avec un Traceur à l’œuvre et des milliers de colonies déjà existantes. Une entreprise titanesque que la pensée de la Culture n’aurait même pas osé imaginer !

C’était donc le plus grand monde simulé jamais créé

Presque un univers. Pour parvenir à ce tour de force Ismaï développe avec l’aide du constructeur Amed Aouï Lenotiv d’alias Volte Introspection, le système des Intelligences Certaines. L’idée fondatrice de cette technologie révolutionnaire est de permettre aux Intelligences simulées de développer un caisson d’effondrement tangible. Cela leur octroie une part de l’espace réel dans leur univers possible. Cet espace est alors utilisé pour déployer un pseudo-algorithme de conviction. Les Intelligences simulées du monde d’Ismaï ont donc une certaine réalité non simulée. À partir de là il est possible d’exploiter toute la puissance des calculs de chute à l’intérieur même de la simulation. Et le principe et descendant, c’est-à-dire que les intelligences des univers possibles imbriqués ont elles aussi une part tangible, même si celles-ci tendent à diminuer au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans la pile des étages de la 2nde voix.

Dans moins d’un retour il devrait être possible de commencer à visiter le monde d’Ismaï. Oui, ce dernier sera ouvert aux personas du réel. Vous pourrez intégrer ce nouvel univers. Un univers dans l’univers. Un espace parallèle à l’instar de l’Amélioré ou du Psy, mais artificiel, créé par une organisation Bio-Métal.

Attention cependant, il ne s’agit pas ici de faire quelques petites incursions en jouant les touristes pressés. Le monde d’Ismaï ne sera accessible qu’aux citoyens désireux d’y rester au moins un compte de vie* entier.

Les citoyens peuplant le monde d’Ismaï en 2nde voie en seront également ses citoyens à part entière.

Et c’est de cela qu’Ismaï souhaitait m’entretenir lorsque je l’ai rencontrée à bord du Pimbot lors de cette entrevue que j’appris ne pas être dû qu’au seul hasard.

Ismaï souhaite que je prenne en charge la sécurité de ce monde fragilisé par l’ouverture aux citoyens impériaux. Il est effectivement plus que certains que des représentants des églises opposées à ce projet, et elles sont nombreuses, tenteront d’investir le monde d’Ismaï pour faire échouer le projet. Les enjeux sont à ce point importants que l’habituel sens civique qui caractérise notre société impériale n’aura certainement plus lieu au sein du monde d’Ismaï. Il est donc primordial de sélectionner au mieux les candidats au voyage. C’est de cela dont je dois m’occuper.

Pour me former à cette tâche j’ai eu le meilleur maître qui soit. L’Abram lui-même. Il m’a contacté. Il m’a dit, et convaincu que le projet lui tenait à cœur même s’il reste dubitatif quant à ses chances de succès.

* Compte de vie : période déterminante dans la vie d’un citoyen impérial qui comprend généralement un apprentissage, la réalisation d’un objectif, d’une mission, d’un achèvement et la bénédiction des pères de la Pensée à l’issue de ladite période.

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