Il ne devait pas revenir aussi tôt.
L’Aurosma voyage du côté de la Sombre Ordonnée.
À son bord, deux cent soixante citoyens.
Ils ont pris part au projet de la future colonie Aïta.
Aïta, chaman de la Pensée Inachevée qui inspira le voyage de l’Abram.
La Pensée Inachevée est l’expression du talent de Projection Inachevée.
Aïta et ses frères et sœurs de Pensée préparent tout au long de leur vie leur unique voyage. Le jour où ils font appel à leur Amada, l’aiguillon du Triche, le mouvement qui les projette de par l’espace normal et les emmène vers un périple transcendantal aux quatre coins du XYZ et de ses plans voisins, en une course de fous follets dont la durée ne tient qu’à l’aléatoire de leur trajectoire.
La Projection Inachevée est un voyage sans frontière, sans limite, dont le but n’est que de voir et rapporter le souvenir tant que dure la course. Un segment, un cycle, une période, une éternité.
Tout ce que voient, sentent, entendent, goûtent les prêtres de la Pensée Inachevée au fil de leur voyage est conservé dans les grandes salles de la bibliothèque Arusma sur Kiho, au sein de l’Ultra Centre. Ces archives sont libres d’accès. Mais leur lecture est complexe. Il n’est pas facile de savoir d’où viennent les sensations enregistrées, ni même qu’elle en est la signification. Galaxie, planète, paysage terrestre, parole, sentiment, onde ? Tout le spectre du ressenti humain est là, mais souvent perdu au sein d’un magma d’énergie PSY désorganisée.
Pour nous, simple citoyen, la lecture d’une Mémoire Inachevée peut, au mieux, nous laisser dans l’expectative la plus complète, au pire, nous mener au bord de la folie, l’esprit saturé d’émotions exotiques, sans plus de place pour notre Complexe C, qui s’atrophie nous laissant étrangers à nous-mêmes.
Il n’en va pas de même pour un Traceur. Les globes frontaux du Navigant sont aptes à emmagasiner un récit Inachevé. Ils peuvent temporiser sa lecture et laisser au Traceur une infinité de cycles pour lire et comprendre.
L’Abram a lu le voyage d’Aïta et l’histoire dit que nous colonisons la galaxie qu’elle nous a racontée.
Il vous faut lire les Carnets de Voyage d’Aïta, l’interprétation de l’Abram des mémoires d’Aïta, c’est une trame passionnante.
Voudriez-vous que je vous en résume l’essentiel ?
« Au revoir et … Je saute
Et je meurs
Je sais que je meurs
Et je reste avec ça
Juste ça
Suspendue
Suspendue et morte
Alors l’angoisse me saisie
Ainsi, ce n’était que cela ?
Notre voyage n’est rien d’autre que mourir ?
Je grimace, je rage, je supplie
Mais jamais ne pleure
Je m’endors
Je m’endors dans la mort
Je nie
Ce n’est pas cela
Là, ici, il n’y a pas de souvenir à partager
Alors d’où viennent-ils ?
Les souvenirs des voyageurs ?
Où suis-je vraiment ?
Je reste là plus de trois fois cent
Ou plus
Ou moins
Longtemps, longtemps à me poser des questions
Ou à poser des questions
A penser
Je ne suis plus que pensée
Je ne m’imagine pas prisonnière
Le Complexe C ne peut être ni enfermé, ni contraint
Il peut être déplacé et sauvegardé
Je tarde à l’apprendre
Lorsque je le pressens
Je peux partir
C’est la clé
Mon voyage commence »